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Guy Ferland est professeur de philosophie au cégep Lionel-Groulx et coauteur de l'étude Projet sur la réussite des garçons - Des interrogations, des solutions, une priorité, publiée dans le rapport Réussir par la direction des études du collège Lionel-Groulx de Sainte-Thérèse en novembre 2001. Ce texte constitue la mise en commun de deux articles parus récemment dans La Presse et Le Devoir. «Pauvres gars, ils font vraiment pitié!» Voilà le genre de réactions qu'on entend lorsqu'on procède à une enquête sur les difficultés scolaires des garçons au collégial. En général, les professeurs qui prononcent cette phrase le font avec une moue de dédain qui marque leur indifférence pour ce type de considération pédagogique. Ils ajoutent souvent qu'ils enseignent à tous de la même façon, sans distinction à l'égard du sexe des élèves. «Si les gars ont des problèmes scolaires, c'est à eux de changer leur attitude», prononcent-ils de façon péremptoire. Quand on discute de cette problématique en classe, avec des élèves de 17 à 19 ans principalement, on perçoit cette même attitude de mépris et de dépit de la part de plusieurs filles à l'égard des gars qu'elles côtoient depuis trop longtemps, disent-elles. Les garçons avouent sans ambages que les filles sont meilleures et plus motivées qu'eux et que l'école, depuis le primaire, c'est l'affaire des filles. Des chiffres inquiétants Depuis quelques années, les problèmes scolaires des garçons à l'école sont en train de devenir une obsession dans la société québécoise et au ministère de l'Éducation du Québec. On mesure l'étendue du phénomène lorsqu'on consulte les statistiques du Ministère. Ainsi, il est écrit dans le document Indicateurs de l'éducation, édition 2002, que «le taux d'obtention du diplôme (DEC ou autre) chez les femmes est plus d'une fois et demie plus élevé que chez les hommes (47,9% contre 28,9%). L'écart entre les deux sexes en cette matière n'a d'ailleurs cessé de s'élargir au cours des années 1980 et 1990. En 1975-1976, le taux d'obtention d'un diplôme du collégial pour les femmes dépassait déjà de 2,7 points le taux correspondant pour les hommes. Depuis ce temps, le taux a augmenté encore plus rapidement chez les femmes; l'écart est maintenant de près de 20 points. En fait, depuis 15 ans, c'est presque seulement parmi les femmes que la proportion de titulaires du DEC s'est accrue.» Que s'est-il passé au collégial entre 1975-1976 et aujourd'hui pour que la différence entre le taux d'obtention d'un diplôme des garçons et des filles soit allée d'une quasi-égalité à un gouffre de presque 20%? Qu'est-il arrivé dans la société québécoise pour que ce mince écart en 1975 devienne un fossé en 2002? Que se passe-t-il actuellement dans notre système d'éducation pour que ce phénomène continue de s'accentuer? Pistes de réflexion Sans être exhaustive, voici quelques pistes de réflexion qui mériteraient d'être explorées par des études sérieuses et qui commandent peut-être des actions urgentes: 1. À partir de 1975-1976, les collégiens sont pratiquement les premiers enfants du divorce et des séparations. Pères manquants, élèves manqués? 2. À partir de 1975-1976, les collégiens sont les premiers élèves issus de la Réforme Parent du système d'éducation public. Est-ce que ce système mixte universel qui favorise les comportements féminins et réprimande les comportements masculins a des incidences jusqu'au cégep? 3. Depuis 1975-1976, les collégiens sont véritablement les premiers enfants de l'audiovisuel. Est-ce que les images et modèles masculins de délinquants héros ont plus d'impacts qu'on le pense sur les comportements scolaires des garçons? 4. Depuis 1975-1976, les collégiens sont les premiers enfants à expérimenter massivement les jeux vidéo, les ordinateurs et autres technologies. Est-ce que les machines distraient de l'école davantage les garçons que les filles? 5. En 1975-1976, l'importance du travail rémunéré s'accroît au collégial. Est-ce que les hommes sont plus affectés que les femmes par l'importance accordée aux biens matériels (les chars, les ordinateurs, les consoles de jeux, etc.)? 6. En 1975-1976, l'informatique apparaît dans le monde de l'éducation. Est-ce que l'influence des ordinateurs en classe (jeux, Internet et clavardage compris) est plus néfaste pour les garçons? 7. À partir de 1975-1976, les collégiens sont aussi les premiers enfants élevés dans la mentalité qui rejette d'avance des comportements masculins à l'école dès la première année du primaire. Est-ce que la place réduite de l'éducation physique, l'abandon des activités physiques plus «dangereuses» comme le ballon chasseur dans certaines écoles n'a pas une influence négative et dévastatrice sur la perception de soi des garçons à l'école? 8. Au cégep, au fil des ans, le français est devenu une priorité parmi les priorités; on réussit de moins en moins si on ne possède pas une assez bonne maîtrise de la langue française. Est-ce que cela favorise encore davantage les aptitudes innées féminines du langage au détriment de la réussite des garçons au collégial? 9. Au cégep, les garçons réussissaient beaucoup mieux que les filles en éducation physique avant la Réforme Robillard. Depuis la Réforme du collégial, la situation s'inverse tranquillement puisqu'on accorde plus d'importance à la théorie qu'à la performance physique dans les cours d'éducation physique. Est-ce là encore une façon de réprimer les comportements masculins jusqu'au collégial? 10. Au cégep, certains professeurs manifestent du mépris et de la répulsion à l'égard des «pauvres gars» qui résistent à l'autorité et qui ne sont pas assez sérieux et appliqués dans leurs études et en classe. Est-ce que cela contribue à diminuer le taux d'obtention de diplômes des garçons? 11. Au cégep, les styles cognitifs différents entre les garçons et les filles ne sont pas respectés et même tenus en compte dans l'enseignement, car la matière à transmettre est trop lourde à ce niveau selon la majorité des professeurs. Est-ce que la structure du collégial favorise l'inégalité des chances en éducation? 12. Finalement, les professeurs du collégial, tant féminins que masculins, sont issus d'un modèle de réussite scolaire féminin qu'ils récompensent en retour. Est-ce que ce cercle vicieux de l'éducation ne va pas continuer d'entretenir l'exclusion de plus en plus grande des gars du monde du savoir et, en fin de compte, de la société de demain? Comment faire réussir davantage les garçons? Au delà des statistiques alarmantes sur les difficultés scolaires des garçons, au delà aussi de la stérile et puérile opposition entre les gars et les filles, il y a la réalité des enseignants aux prises avec des classes mixtes. Que faire concrètement devant une trentaine de personnes qui n'ont ni les mêmes goûts ni la même disposition d'esprit lorsqu'on veut faire réussir le plus d'élèves possible tout en tenant compte des différentes manières d'apprendre de chacun? Une des recommandations du Conseil supérieur de l'éducation dans son fameux rapport Pour une meilleure réussite des garçons et des filles (1999) indiquait une piste de solution simple, intéressante et pratique, car elle n'entraînait pas de bouleversements des structures d'école. De plus, cette proposition a été expérimentée avec succès lors d'une recherche sur la réussite scolaire des garçons au cégep Beauce-Appalaches. Et les résultats de cette expérimentation rejoignent exactement les constatations de ma propre pratique d'enseignant depuis onze ans, tant en littérature qu'en philosophie. La diversité des styles cognitifs Pour mieux faire réussir les garçons à l'école, il faut que plus d'élèves réussissent, gars et filles. N'oublions pas qu'il y a des garçons qui fonctionnent bien dans le système actuel et qu'il y a des filles qui éprouvent des difficultés, même si, selon les statistiques, ces deux groupes représentent des minorités. Comment alors réaliser ce tour de force de motiver le plus d'élèves à apprendre ? Simple, en apparence : tenir compte dans son enseignement de la diversité des styles cognitifs des élèves, c'est-à-dire tenir compte de leur personnalité distincte, de leurs aptitudes différentes, de leurs façons variées de réagir, de leur divers rythmes d'apprentissage, de leurs capacités multiples, de leurs humeurs changeantes, de leur estime de soi variable, de leur sexe différent, etc. Tout cela sans oublier l'importance centrale du professeur (et de son sexe) dans la transmission des connaissances et du goût de savoir. Il faut que ça bouge ! Pour les professeurs d'aujourd'hui, la concurrence est forte du côté du divertissement et des biens de consommation. Comment obtenir l'attention d'élèves qui zappent continuellement entre les chaînes de télévision et de radio, les disques compacts gravés, les vidéoclips, les films sur vidéocassette, les jeux vidéo, les jeux à l'ordinateur, les séances de clavardage, la pratique de sports, les achats de toutes sortes, les préoccupations sexuelles, les courses automobiles, etc. ? Pas facile. Faut-il que le professeur joue le jeu de la concurrence du divertissement et se transforme en clown ou qu'il résiste plutôt à la mode ambiante et se métamorphose en tortionnaire de l'effort ? Y a-t-il un juste milieu ? La source de la connaissance est l'étonnement, disait un vieux sage grec. Ce qui pique la curiosité, ce qui frappe l'imagination va capter l'attention et attirer le regard. Ensuite seulement, l'effort permet de poursuivre sur la lancée vers l'objet à connaître. Et pour piquer la curiosité du plus grand nombre d'élèves, pour étonner des jeunes aujourd'hui, il faut les prendre de vitesse, les déstabiliser en variant le plus possible les stratégies pédagogiques. Tasse-toi, mon oncle ! Cours magistraux, lecture à voix haute, présentation de films percutants, jeux-questionnaires, jeux de société, débats, groupes de discussion, études de cas, dramatisation, jeux de rôles, guerres de sophismes ou de figures stylistiques, tribunaux de la dictée, rédaction de manifestes et de dialogues, concours, course dans les dictionnaires, recherches et projets, exercices de style, de cadavres exquis et d'écriture automatique, exposés théâtralisés, présentation de philosophes ou d'auteurs sous forme de clips, énigmes et illusions d'optique, musique d'ambiance, invités-surprises, humour, questions et réponses, devinettes, etc. : tous les moyens sont bons pour susciter l'intérêt des jeunes d'aujourd'hui. En variant ainsi les stratégies pédagogiques avec doigté, selon les forces et les faiblesses des élèves et du professeur, on rejoint les sensibilités différentes de la plupart des jeunes, garçons et filles. On est alors surpris de les voir déployer autant d'effort dans des activités multiples par la suite. Ainsi, les élèves faibles réussissent mieux, en l'occurrence les garçons, et les élèves forts augmentent également leur rendement. C'est du moins ce qui ressort de l'étude exploratoire de Rachel Aubé, du cégep Beauce-Appalaches, et de ma propre pratique d'enseignant. Alors, pourquoi se cantonner, quand on est professeur, dans des méthodes pédagogiques restreintes qui ne favorisent qu'un ou deux styles d'apprentissage ? Veut-on d'une école qui sacrifie un grand nombre d'élèves ? Pourquoi pas plutôt une école tournée vers l'avenir, qui tienne compte de la variété des façons d'apprendre dans l'enseignement et qui permette à chacun d'exprimer ses diverses capacités et de réussir à sa manière ? |