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Nouvelles du Petit Paradis en Equateur

La vie quotidienne dans le nord des Andes équatoriennes

 

Chronique

TOURISME ET POLITIQUE

Le 26 avril 2009, le peuple équatorien a reconduit à la présidence de la République, Rafael Correa, malgré un bilan peu flatteur sur le plan des libertés et de la démocratisation du pays.

Du côté du verre à moitié plein, c'est un triomphe historique que celui de Correa et d'Alianza Pais : depuis 1979 - le retour à la démocratie après une dictature militaire -, c'est la première fois qu'un président est élu au premier tour et pour un second mandat. La question de la majorité présidentielle à l'Assemblée nationale n'est pas encore tranchée à ce jour, mais constituera probablement pour lui un troisième objet de profonde satisfaction .

Du côté du verre à moitié vide, cette victoire n'est pas aussi brillante qu'elle ne paraît, compte tenu des conditions dans lesquelles elle a été remportée - utilisation indécente de la propagande et de tous les moyens de l'Etat pour favoriser son camp -, parce que les membres du "Consejo National Electoral" se sont révélés incapables d'imposer au président et à son mouvement le respect des règles qu'ils ont eux-mêmes édictées. Cette victoire est relativement étroite : 52 % des suffrages exprimés (45 % en comptant les blancs et les nuls), 34 % des inscrits. Tout le monde étant bien convaincu qu'il n'y aurait pas de 2e tour, les électeurs ont préféré le vote utile, les cinq derniers candidats (sur huit) ne représentant à eux tous qu'un peu plus de 8 % des suffrages exprimés.

Le retour au pouvoir de Rafael Correa pour quatre ou huit ans conduira l'Equateur vers un régime autoritaire, étatiste, technocratique et populiste, calqué sur celui de la république bolivarienne du Venezuela. Certes, la partie de la population la plus défavorisée a vu ses conditions de vie s'améliorer au cours du premier mandat (de deux ans) sur les plans de l'assistance, de la santé, de l'éducation et du logement. Il est probable qu'une remontée du prix du pétrole permettra au gouvernement de développer les avantages offerts à ce segment, majoritaire, de la population.

La question à laquelle je souhaite apporter une réponse est la suivante :

Etant donné l'évolution actuelle du régime, puis-je recommander à des lecteurs francophones de venir en Equateur ?

Une question insolite ?

Pour faire comprendre le pourquoi de ma question, je vais revenir sur mes choix négatifs concernant certaines destinations touristiques au cours de ma vie.

J'ai passé deux fois de courtes vacances dans l'Espagne franquiste, sans que cela ne me pose problème, faute de conscientisation politique. J'ai une excuse pour la première fois : j'avais dix-sept ans. Je n'en ai plus pour la seconde : j'avais 24 ans. Si je n'y suis plus retourné avant le rétablissement de la démocratie, c'est parce que les amis barcelonais que je me suis fais à cette deuxième occasion m'ont ouvert les yeux sur la réalité de ce régime.

En 1967, j'ai renoncé à partir en Grèce à cause du coup d'Etat des colonels, malgré les longs mois de soigneuse préparation de ce voyage, si approfondie que j'ai l'impression parfois qu'il a eu lieu. A la dernière minute, j'ai remplacé la Grèce par la Yougoslavie. Etait-ce une destination en accord avec mes principes ? Si la Grèce pliait en cette année sous la férule des dictateurs militaires, une légère brise de liberté et de bien-être soufflait sur la Yougoslavie. J'espérais même que ce pays invente une troisième voie entre les démocraties capitalistes de l'Ouest et celles, populaires, de l'Est. La suite de l'histoire m'a cruellement démenti.

Beaucoup plus tard, j'ai juré que je ne remettrais plus les pieds aux Etats-Unis, aussi longtemps que George W. Bush en serait président.

Enfin, il y a deux ans, quand j'étais disposé à envisager un séjour à Cuba, en considération de ce qui paraissait être un dégel, cette phrase d'un message envoyé par un ami qui venait de s'y rendre m'a fait comprendre que ma curiosité - visiter le pays avant que Fidel ne meure - était déplacée : "J'ai redécouvert un Cuba en perdition, avec une population découragée, ne travaillant plus, se repliant sur elle-même, cherchant des solutions pour en sortir, mais ne parvenant pas à nouer les deux bouts. Les jineteras ont beau agiter leur joli postérieur, elles sont dépassées par les amas de casa, les jovencitas, les employées, j'ai été plusieurs fois assailli par des guides de musée, à la recherche de quelques pesos convertibles. Car on ne peut pratiquement rien acheter avec les pesos cubains, on doit donc nécessairement chasser pour obtenir ces précieux convertibles, pour lesquels ils doivent donner 25 pesos cubains."

Donc, je ne trouve pas ma question insolite, je persisterai même dans mon critère éliminatoire. C'est ainsi que je n'irai pas en ce moment dans des pays comme le Maroc, l'Algérie, la Tunisie, la Libye, l'Egypte, Israël, la Syrie, la Turquie, la Russie, les royaumes arabes, l'Iran, ni dans ceux de l'Alba (le Venezuela, le Nicaragua, la Bolivie, etc.). On ne sait pas si l'Equateur est entré ou non dans ce club bolivarien. Disons qu'il a un pied dedans.

Une question absurde ?

Je dois appartenir au 1 % (3, 5 % ?) de touristes qui choisissent leur destination de vacances en fonction du régime ou de la situation politique. Si l'on en juge par les choix de la majorité d'entre eux, leurs critères sont bien différents : la mode (la Syrie, l'Egypte, la Turquie, la Chine), le pas cher (la Roumanie de Ceaucescu, l'Espagne de Franco, la Grèce des colonels, le Maroc, la Tunisie), le soleil en hiver (le Kenya, la Thaïlande).

Ces critères me semblent acceptables. Je ne prétends pas non plus que le critère politique doive être nécessairement déterminant, mais, dans certains cas, il est important qu'il soit éliminatoire. Tout bien considéré, je renonce en principe à envisager de me rendre dans des pays dont le régime politique est autoritaire, opprime des minorités, ne respecte pas les droits fondamentaux des citoyens (par exemple, ceux des femmes ou la liberté d'expression, d'opinion et de presse).

Je suis bien conscient que cette position extrême m'expose à des objections. On peut très bien, tout en étant informé des conditions défavorables existant dans des destinations touristiques de masse, invoquer des raisons valables de s'y rendre quand même :

  • Voir de ses propres yeux ce qui se passe, car ce qui se dit dans les médias ne reflète pas toujours la réalité vécue par les gens du pays. L'Iran, par exemple, est sûrement l'objet de préjugés dus à la propagande du gouvernement Bush sur l'axe du mal.
  • Considérer que les dépenses faites par les touristes aident la population à sortir du sous-développement.
  • Avoir des contacts avec la population pour rompre son isolement.
  • Se concentrer sur des offres touristiques telles que l'écotourisme, le tourisme communautaire et éviter les hôtels cinq étoiles et les clubs de vacances fermés.
  • Estimer que le peuple ne doit pas être confondu avec ses gouvernants.

Tout en reconnaissant la justesse de ces objections, je pense qu'elles sont difficiles à mettre en pratique :

  • Elles supposent une bonne connaissance de la langue du pays ou de la région. Uitliser le broken english pour communiquer avec les natifs conduit à des simplifications ou des malentendus ou ne permet pas de dépasser le niveau des lieux communs.
  • Elles supposent que le niveau de sécurité est suffisant pour permettre de s'éloigner du lieu de vacances et d'explorer librement la région.
  • Le plus souvent, la majorité des contacts que les touristes entretiennent avec la population locale s'effectue avec les professionnels du tourisme : chauffeurs de taxis, employés d'hôtel, guides, moniteurs, etc. Même dans le cas du tourisme communautaire, au bout de deux ou trois ans de relations suivies avec des touristes étrangers, les membres d'une tribu indienne finissent par devenir, eux aussi, des professionnels et ne sont plus représentatifs de leur milieu.
  • Les équipements fréquentés par les étrangers dans les pays en voie de développement ne le sont en général pas par les nationaux.
  • Les dépenses touristiques améliorent la balance des paiements et créent des emplois, mais, à l'exception du tourisme communautaire, les bénéfices vont dans les poches d'entrepreneurs touristiques, grands, moyens ou petits, souvent étrangers.
  • Lorsque la démocratie électorale existe, ce sont bien les citoyens - la majorité de ceux qui ont pris la peine de s'exprimer dans les urnes - qui choisissent leurs gouvernants (c'est le cas des Etats-Unis sous George W. Bush et de l'Equateur sous Rafael Correa). Les peuples ont les gouvernants qu'ils méritent.

Je pense cependant que le plus grand obstacle à une meilleure connaissance de la population du pays visité vient du faible niveau de motivation d'une majorité élevée des touristes. Il faut s'accrocher et avoir du talent pour entrer en contact avec une population locale dont la culture est très différente de la sienne. C'est d'autant plus difficile quand les conditions politiques existant dans un pays sont défavorables et créent un climat de méfiance face à des étrangers, dont les bonnes intentions ne sont pas nécessairement transparentes.

Tout ceci me conduit à penser que ma question n'est pas non plus absurde.

Etant donné l'évolution du régime politique de l'Equateur, puis-je recommander à des lecteurs francophones d'y venir ?

Il me faut entrer un peu plus en détail sur les éléments qui figurent dans le chapeau de cette chronique.

Le régime que Rafael Correa tente d'instaurer n'est pas complètement défini, il est en construction. Pour ce que l'on en voit à ce jour, il est unipersonnel, d'essence autoritaire et vise à la transformation radicale des institutions à travers la révolution citoyenne vers ce qui serait le socialisme du XXIe siècle. S'il fallait en croire les déclarations du président et de la majorité qui le soutient, ainsi que l'intense propagande gouvernementale, l'Equateur serait un paradis de démocratie citoyenne. La réalité est très différente et pointe vers le maintien de mœurs politiques corrompues, souvent dénoncées dans le passé (notamment dans l'industrie pétrolière et l'adjudication de contrats de grands travaux), les nombreuses violations de la nouvelle constitution et des lois, les menaces répétées contre tous ceux qui ne sont pas d'accord avec les orientations de ce régime (en particulier les médias), la distance entre le discours, souvent rempli de contradictions, et l'action, souvent incohérente, du principal acteur de la vie politique nationale.

Jusqu'à présent, les menaces, les insultes, les dénigrements émis par le président contre ses opposants ne dépassent pas le stade verbal. Seuls, une dizaine de citoyens mal embouchés sont en prison ou en instance de procès pour avoir attenté contre la "majesté présidentielle". Il n'en reste pas moins qu'il s'agit d'une violation flagrante de leurs droits que la nouvelle constitution accorde généreusement, notamment le suivant : "le droit à exprimer son opinion et sa pensée librement sous toutes leurs formes et manifestations" (art. 66, paragraphe 6).

Il y a d'autres cas beaucoup plus graves, dans lesquelles le président n'est pas directement impliqué, tel que celui de Dayuma, où la préfète (élue) de la province a été maintenue en prison sans charge pendant plusieurs mois et des citoyens qui manifestaient ont été brutalement réprimés par la force publique. Cependant, même si cette intimidation constante de la part du pouvoir ne débouche pas sur des mesures coercitives ou arbitraires généralisées, elle crée un climat de défiance et de démoralisation dans le pays, qui conduit les citoyens capables d'analyse et de réflexion à une acceptation passive des excès ou des transgressions commis par de hauts représentants du gouvernement. Le bilan de ce régime qui se veut vertueux dans le domaine du respect des droits humains est plus mauvais que celui de ses prédécesseurs depuis dix ans.

Certes, il n'est pas possible d'affirmer comme le font des opposants de mauvaise foi que l'Equateur vivrait une dictature. Cependant, l'accaparement de toutes les fonctions de l'Etat par le président et son mouvement, qui est dans la logique présidentialiste de la nouvelle constitution, mais est renforcé de façon illégale par des violations de cette même constitution, peut faire craindre que cette dérive du régime s'accentue, en complète contradiction avec la dimension citoyenne et participative du projet original d'Alianza Pais.

Conclusion :

L'application de mon critère éliminatoire m'amène à mettre l'Equateur dans la liste des pays où je ne passerai pas mes vacances. Le paradoxe est que j'y vis, et c'est du reste pour cette raison que j'ai une connaissance approfondie de son régime politique.

LISEZ EGALEMENT :

Sur le projet d'Alianza Pais :

Sur le bilan des cinq premiers mois du gouvernement et le style de Rafael Correa :

Sur la participation citoyenne :

Sur la propagande gouvernementale :

  • Assez, assez !
  • Sur le socialisme du XXIe siècle :

  • Vous avez dit : le socialisme du XXIe siècle ?
  • Sur le bilan économique du gouvernement :

  • Un bilan économique du corréisme
  • Sur l'arbitraire du gouvernement :

  • Nous sommes tous des écologistes
  • Le 10 mai 2009

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